La traversée de Gibraltar vers les Canaries
- shanghaijess
- 1 oct. 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 oct. 2019
C’est avec une certaine appréhension que nous avons quitté Gibraltar un matin très tôt, direction les îles Canaries. En effet, c’est une traversée de cinq jours qui nous attend et qui commence par une étape délicate : la traversée du mythique détroit de Gibraltar.

Le détroit de Gibraltar
Il fait encore nuit noire lorsque nous quittons le port de Gibraltar et c’est dans une véritable purée de pois nocturne que nous devons tenter de nous orienter. Il y a un tel brouillard qu’on n’y voit pas à 10 mètres… On aperçoit difficilement l’ombre fantomatique des immenses cargos qui semblent surgir à la dernière minute devant nous. Malgré le GPS, nous sommes totalement désorientés et nous finissons par sortir de la baie après nous être perdus en cherchant à éviter deux cargos qui croisaient notre route.
Mais surprise à la sortie de la baie, nous sommes accueillis par des dauphins qui viennent nager derrière Télémaque. On dirait qu’il y en a beaucoup dans la baie, car nous ne croisons pas moins de deux bans de dauphins ! Quel plaisir !
Nous quittons les dauphins et nous nous préparons ensuite à franchir le terrible détroit de Gibraltar. Bien connu des navigateurs, c’est un passage obligé vers les Canaries. L’opération est délicate car il s’agit de traverser deux voies de cargos parallèles. Il faut donc s’arranger pour passer entre deux cargos sur la première voie qui s’éloigne de Gibraltar puis à nouveau passer entre deux cargos sur la voie suivante qui va vers Gibraltar… Sachant qu’ils vont à 20 nœuds soit 4 fois notre vitesse. Ce qui revient un peu à dire qu’on doit traverser une autoroute en zig-zaguant entre des voitures lancées à 120km/h (et avec une mobylette !)…
Je vous rassure, tout s’est bien passé ! Nous avons traversé à la voile mais comme on était un peu flippés, on a quand même mis le moteur (en plus) dans les moments où on passait entre deux cargos, histoire de dégager le plus vite possible de la voie !


La route vers les Canaries
Une fois que le détroit est passé, le stress retombe et nous passons aux choses sérieuses : la traversée commence ! C’est la première fois qu’on s’attaque à un tel trajet : 600 miles nautiques soit cinq jours et cinq nuits de navigation ! Notre dernière « grosse » traversée est celle qui reliait Barcelone à Ibiza et qui ne faisait que 150 miles… Malgré tout, ce qui est très rassurant sur ce trajet, c’est qu’on longe la côte marocaine et qu’au moindre problème, on peut facilement s’y dérouter.
Nous avons eu la chance d’avoir un temps superbe pendant les cinq jours qu’elle a duré. Nous avons aussi eu un petit vent très stable pendant une grande partie du trajet et nous avons navigué au portant (vent qui vient de derrière) la plupart du temps.
Les deux premiers jours de la traversée se font sur une mer d’huile et très peu de vent. Nous avons même dû faire face à une pétole qui a duré plus de 20 heures avec un vent qui tournait autour de 2 nœuds. Ca nous a beaucoup inquiété, on a dû rapidement utiliser les deux bidons de 20L d’essence que nous gardions de côté, et on a même envisagé l’option de s’arrêter à Casablanca pour refaire un nouveau plein si le vent ne se levait pas. Mais finalement dans l’après midi du deuxième jour, un petit vent stable s’est levé et il n’allait quasiment plus nous quitter !
Avec le vent sont également arrivées les vagues (forcément !) et là, c’est devenu plus compliqué pour moi car elles étaient assez hautes (entre 1,5 et 2 m de hauteur) et qu’elles ont imprimé un mouvement de balancier permanent au bateau. Nous avons trouvé ce mouvement perpétuel très désagréable et très difficile à gérer sur le long terme. Surtout moi d’ailleurs… Je n’avais qu’une envie, c’était que le bateau redevienne STABLE même pour quelques minutes. J’avais tout le temps mal à la tête, je me sentais barbouillée, j’ai même perdu l’appétit car manger avec le corps qui se balance d’avant en arrière est tellement inconfortable que ça devient une corvée. Cependant ce « mal-être » que je ressentais n’a duré que deux jours et a subitement disparu pendant la dernière journée de la traversée.
Les journées sur le bateau étaient très calmes. Elles ont été rythmées par les repas et les siestes ! Le vent étant stable, nous avons eu très peu de réglages de voiles ou manœuvres à faire, et on avait donc beaucoup de temps « libre » qu’on a passé à lire, à écouter de la musique et se reposer. Ca peut paraitre étonnant de dire que nous avons eu besoin de nous reposer mais c’est en réalité une part très importante de nos journées ! En effet, nous étions très fatigués par les veilles de nuit et la fatigue a été une des choses les plus difficiles à gérer pendant ces cinq jours.
On n’a vu quasiment aucun autre voilier sauf le quatrième jour où on a aperçu Serenity sur le GPS. C’était plutôt sympa de croiser quelqu’un après tout ce temps sans voir personne ! On a même échangé quelques mots par la VHF avec le capitaine du Serenity (qui semblait être allemand vu son accent). On l’a recroisé plusieurs fois et on a navigué devant lui pendant une grande partie de la dernière nuit. Au petit matin, il nous a dépassé à fond la caisse (comment a-t-il fait pour accélérer à ce point ? Mystère) et nous l’avons perdu devant Lanzarote… Il aurait pu dire au revoir quand même !
Par contre, les nuits c’est une autre histoire ! Bizarrement, c’est toujours la nuit qu’il se passe pleins de choses… C’est un peu comme si tous les bateaux décidaient de se croiser la nuit ! Les premières nuits, on a eu beaucoup de pêcheurs. Ils ont de gros chalutiers très rapides et pêchent la nuit avec des spots pour attirer les poissons. Ensuite on a eu plusieurs cargos qui semblaient toujours venir pile poil dans notre direction ! Cela nous a contraint plusieurs fois à changer de cap et à dé-tangonner le génois, et nous a fait perdre du temps.
Sinon les veilles de nuit ont été moins dures à supporter que ce qu’on avait imaginé. Nous faisions des quarts de deux heures, ce qui est assez court et ça passait donc très vite. J’ai été bien aidée par ma liseuse kindle car grâce à son rétro-éclairage je n’avais aucun problème pour lire dans le noir.
Comme j’avais le quart de 5h à 7h du matin, j’ai aussi eu la chance de voir le soleil se lever tous les jours et c’est probablement un de mes moments préférés de cette traversée.
Le moment que j’aimais le moins était celui où le soleil se couchait. Je n’aimais pas du tout ce moment de flottement où il commence à faire sombre et froid, et où tout semble s’arrêter en attendant que la nuit arrive. Pour nous, c’était le moment d’après diner, où on devait commencer à se préparer pour la veille. Une toilette rapide, des vêtements chauds et c’était parti pour le premier quart !
En conclusion, je dirai que cette traversée a été positive car tout s’est bien passé, en dehors de l’inconfort ressenti qui n’a duré que deux jours. Et les cinq jours et nuits sont finalement passés assez vite.
Nous avons navigué avec une moyenne de 5 nœuds ce qui est un poil plus lent que ce que nous aurions souhaité. C’est dû en partie à la sortie laborieuse de Gibraltar et aux changements de cap nocturnes lorsque nous croisions des cargos. Mais nous sommes très satisfaits de cette expérience qui est une excellente préparation pour les prochaines grosses traversées à venir vers le Cap Vert puis vers les Antilles…








C'est hyper important de bien se ménager des périodes de repos, car au premier gros coup de vent, vous allez avoir à puiser dans vos réserves pour gérer le bateau, la navigation et les éventuelles rencontres (votre radar porte à quelle distance ?). Merci pour ce récit, j'adore le style !